Aux quatre coins de Brome-Missisquoi et au milieu des couleurs automnales, des artisan·es mettent leur créativité au service de la durabilité.

TEXTE Gabrielle Anctil
PHOTOS Kam Vachon

Le soleil brille et les arbres revêtent déjà leurs couleurs d’automne. Le fond de l’air frais donne envie d’apprendre à tricoter. Les Cantons-de-l’Est en ce début d’automne sont, comme toujours, magnifiques. L’ambiance est idéale pour partir à la rencontre d’artisan·es locaux·ales engagé·es chacun·es à leur manière dans une démarche où les expertises anciennes rencontrent un souci de durabilité bien contemporain. En route! 

Sweet Mama Grass

Portrait de Laurence Thiffault
© Kam Vachon | Laurence Thiffault

L’atelier de Laurence Thiffault embaume le saule et le foin d’odeur. «Tout le monde me le fait remarquer, mais je ne le sens plus», admet-elle tout en mettant la touche finale à un panier aux teintes olive. Dommage, car cette odeur contribue certainement au sentiment de bien-être que l’on ressent en compagnie de cette artisane éloquente. Aux murs de l’étroite boutique sont accrochés de magnifiques paniers tressés de formes diverses. Dans un coin, des ballots d’osier — qu’elle a fait pousser elle-même — attendent ses mains expertes. On se sent traverser le temps.

Justement, la vannière rappelle que son art est à l’origine de «presque tout»: le tissu, les habitations, le papier, tous ont commencé par l’entremêlement de fibres. 

Cette pratique ancienne est pourtant encore résolument d’actualité. Les objets qui émergent des doigts de Laurence Thiffault sont pensés pour servir dans la vie de tous les jours. «Parfois les gens se servent de mes paniers comme décoration», observe-t-elle cependant. Comme si face à un produit si bien conçu, on craignait de l’abîmer. Mais, justement, ces paniers  «créés avec le vivant», à la fois beaux et pratiques, sont aussi faciles à réparer.

Paniers de Sweet Mama Grass
© Kam Vachon | Sweet Mama Grass

Difficile de trouver une pratique qui soit autant durable. Le saule, qui repousse sans peine chaque année après avoir été coupé, ne demande aucune transformation pour pouvoir être tressé. Et les retailles trouvent un dernier usage chez une potière locale. Résultat: «En utilisant un matériel qui n’a aucun impact quand il pousse et quand il est jeté, je me sens bien moins brimée dans mes explorations».

Laurence Thiffault fabriquant un panier
© Kam Vachon | Laurence Thiffault
Foins de senteur
© Kam Vachon | Sweet Mama Grass

Michel Y. Guérin

Portrait de Michel Y. Guérin
© Kam Vachon | Michel Y. Guérin

Quelle est la relation du ferronnier Michel Y. Guérin avec le métal? La question lui fait esquisser un sourire entendu: «on est amis de naissance». Pourtant, cette amitié ne s’est transformée en carrière que tout récemment. Après une formation d’ingénieur et un saut dans la joaillerie, l’appel du métal s’est enfin fait entendre à l’artiste en 2014. Depuis, il conçoit et soude des œuvres de toutes tailles, généralement de formes abstraites, intégrant des matériaux divers. «J’appelle ça du métrail, comme du vitrail avec du métal», explique-t-il. 

Une visite de son atelier permet d’entrouvrir la porte de son monde unique. Après un tournant en épingle, on arrive dans une galerie en plein air où un large virevent attire l’attention parmi les sculptures répandues sur le terrain.

L’artiste nous offre une visite, expliquant avec animation l’origine des matériaux composant chaque pièce: «celle-là c’est une tinque de station service». De fait, les matériaux recyclés sont une source d’inspiration importante pour lui, et la cour à scrap locale est un de ses lieux de prédilection pour dénicher des trésors à magnifier. 

Au travers de son travail créatif, Michel Y. Guérin a trouvé un moment pour fabriquer le mobilier du café-épicerie Yamaska à Farnham. Toujours prêt à expérimenter avec de nouvelles matières et à collaborer avec des artisan·es locaux·les, l’imaginaire de l’artiste ne semble pas avoir de limites. 

Table de Michel Y. Guérin
© Kam Vachon | Michel Y. Guérin
Michel Y. Guérin en pleine création
© Kam Vachon | Michel Y. Guérin
Oeuvre de Michel Y. Guérin
© Kam Vachon | Michel Y. Guérin

La Compagnie Robinson 

Patrice et sa conjointe devant la boutique de Sutton
© La Compagnie Robinson | Patrice et sa conjointe

Patrice Didier est motivé par l’idée de «fabriquer des objets qui dureront plus qu’une génération». Artisan maroquinier, il conçoit des produits en cuir au look intemporel, qu’on peut admirer dans sa boutique à Sutton. Cet ancien designer graphique a développé son art pendant ses temps libres dans son appartement à Montréal avant de se lancer en affaires et de déménager dans les Cantons-de-l’Est. Ses créations trouvent désormais logis dans une boutique épurée en plein cœur du village touristique. 

«J’avais l’impression qu’on est une génération qui a beaucoup de savoir intellectuel, mais on est dépossédé de notre savoir manuel», raconte-t-il pour expliquer son virage. 

Préoccupé par les traces qu’il laissera derrière lui — «est-ce que ça va devenir un déchet, ou bien est-ce que ça va se désintégrer?» — la qualité des matériaux dont il se sert est de la première importance. Le cuir qu’il se procure reçoit un tannage végétal, une méthode artisanale qui, à l’inverse du tannage minéral, «développera une patine avec le temps, comme du bois brut». Un peu comme un bon whiskey qu’on laisse vieillir dans un baril, bref. Il espère voir ses ceintures, portefeuilles et sacs traverser le temps. Son rêve? «J’aime l’idée qu’un objet passe d’une personne remplie de souvenirs à une autre, et une autre».

© Circuit-Court | La Compagnie Robinson
Patine du cuir
© La Compagnie Robinson
© Circuit-Court | La Compagnie Robinson

Boutiverre

Portrait de Caroline Couture
© Kam Vachon | Caroline Couture

Il n’y avait pas d’autre option pour Caroline Couture: «j’ai complètement arrêté de travailler avec du verre neuf à la fin de mes études. C’était ça ou rien.». Et ça marche: depuis 2015, elle conçoit et fabrique des luminaires sur mesure entièrement à partir de bouteilles recyclées dans sa boutique de Knowlton, où on peut d’ailleurs visiter l’atelier où elle souffle ses produits, même si celui-ci ne prend réellement vie qu’en dehors des heures d’ouverture. En résulte des pièces uniques aux «finis organiques» où il ne reste plus de trace de l’objet d’origine. 

En plus de valoriser un produit qui irait autrement au dépotoir, la verrière a adopté des techniques «naturelles» de travail, dont la fusion avec les cendres de bois qui viennent ajouter de la personnalité à ses lampes. Pas de plomb, ni d’acide dans son atelier: «je n’utilise pas de pigments, que du trempage à l’eau qui vient donner un motif unique au verre». Ses pièces sont un exemple concret d’économie circulaire. D’ailleurs, pour obtenir ses bouteilles, elle a noué des liens avec des entreprises locales qui lui gardent leurs produits déclassés. «Ça me simplifie pas la vie», note-t-elle humblement. Mais même après une décennie, sa motivation pour trouver une deuxième vie au verre demeure inébranlable. 

le four de Boutiverre
© Kam Vachon | Boutiverre
Travail du verre recyclé
© Kam Vachon | Boutiverre

Pour leur rendre visite: 

Sweet Mama Grass
Sutton, Québec 
Laurence Thiffault 
sweetmamagrass@gmail.com

Michel Y. Guérin
Saint-Armand, Québec 
Michel Y. Guérin 
michely01@hotmail.com

La Compagnie Robinson
Sutton, Québec 
Patrice Didier 
info@therobinson.co

Boutiverre
Knowlton, Québec 
Caroline Couture 
boutiverre@gmail.com 
514 973 3268