Alex Surprenant et Mélodie Lavergne de Fumile
Les chapelier·ère·s Mélodie Lavergne et Alex Surprenant sont à la croisée des chemins. Grossir l’entreprise devient impératif pour faire vivre leur famille, mais jusqu’où se rendre pour conserver le contact avec la matière?

TEXTE Eugénie Emond 
PHOTOS Alma Kismic 

De la vapeur s’échappe d’une grosse casserole posée sur un rond, au deuxième étage de la boutique atelier. De la chaleur et de l’humidité dont Mélodie a besoin pour le moulage des chapeaux, destinés à garnir les étalages de la boutique en contrebas. À quelques pas de sa mère, bébé Ezmé, neuf mois, mordille son jouet sur le plancher, avant d’être réquisitionnée par Annie, l’assistante de production. «Ezmé est une grande distraction!», commente-t-elle, ravie.

© Alma Kismic | Mélodie Lavergne
© Alma Kismic | Alex Surprenant

Il y a trois ans, Mélodie et Alex ont mis la main sur cette grande bâtisse qui peinait à trouver preneur, en plein cœur de Frelighsburg. «Fallait être une partie travaillant·e, une partie naïf·ve pour acheter le bâtiment ici», lance Alex. Le couple ne compte plus les heures englouties dans la métamorphose de cet ancien hôtel-taverne où tout était à refaire. Reste que l’endroit est beaucoup plus spacieux que l’atelier boutique sur Atateken, à Montréal, où ils ont débuté en 2018. Et le nouvel espace semble offrir une infinité de possibilités, pouvant se modeler à leurs ambitions. 

© Alma Kismic | Alex Surprenant

Alex me fait visiter les nouveaux espaces en bas, adjacents à la boutique. Derniers ajouts: un endroit entièrement dédié à leurs créations en tissu et le café de l’Atelier Tréma qui a ouvert ses portes au début du mois de juillet. Un bon voisinage que les entrepreneur·es abordent avec plaisir.

Arrivé·es dans la boutique de Fumile, j’en profite pour revenir sur la genèse de l’entreprise: 

– Tu faisais quoi, Alex, avant de faire des chapeaux? 
– «Boaf…», répond-il évasif. 

Il revient brièvement sur son passé de fêtard, son déclic après avoir vu une vidéo montrant «un gars aux États-Unis qui faisait des chapeaux», le cours de chapellerie, sa rencontre avec Mélodie. Derrière lui, les chapeaux colorés s’alignent sur le mur de la boutique, tous traversés d’une cicatrice, la marque de commerce de Fumile qui a perduré dans le temps. «C’est parti d’une erreur sur un chapeau et ça a maintenant sa life of it’s own», résume Mélodie, que nous rejoignons à l’atelier.

© Alma Kismic | Boutique Fumile
© Alma Kismic

Suivre le flot, s’adapter, reconnaître les bonnes idées et les mener à terme tout en accueillant les opportunités qui se présentent, c’est un peu ça Fumile. Et l’entreprise ne se bâdre pas de proposer de nouvelles collections chaque saison, forgeant chaque chapeau selon le matériau à leur disposition. «C’est surprenant comment quelqu’un peut entrer ici et que le chapeau sur lequel il trippe, ça adonne que c’est sa grandeur!», illustre Mélodie. Cet aspect organique, le couple espère le conserver, mais doit penser à la suite. Le sur-mesure est difficile à rentabiliser et il faut sans cesse justifier les coûts à la clientèle, réticente à débourser autant pour un couvre-chef. «Mais la chapellerie, c’est compliqué, c’est long à faire», explique Mélodie.

© Alma Kismic | Atelier Fumile
© Alma Kismic

Pour rentabiliser le tout, le duo souhaite peu à peu se munir d’outils pour faciliter certaines étapes de la production, tout en conservant une ligne sur mesure. «Il y a beaucoup d’étapes que tu peux faire à la main, mais il y a des machines et des outils qui existent depuis 100 ans qui perfectionnent certaines étapes et les rendent plus rapides», avance Mélodie. Le duo convoite maintenant une presse hydraulique, mais les machines, même usagées, coûtent cher et sont difficiles à trouver.

© Alma Kismic

Même si le duo en vient à proposer une ligne plus accessible, il ne souhaite pas pour autant perdre le contact avec la matière. Et la recherche de matériaux éthiques demeure leur priorité. La plupart de leurs feutres proviennent d’Europe de l’Est, de lapins élevés en pâturage. «Mais le plus hot c’est le castor: c’est un animal semi aquatique, alors la fourrure est parfaite pour les chapeaux», explique Mélodie. Même si l’âge d’or des hauts-de-forme est révolue, une industrie qui a épuisé la ressource de castors au pays jusqu’au 19e siècle, Mélodie se permet de rêver à une industrie locale, éthique. «Imagine si on pouvait avoir des manufactures et s’approvisionner ici!», rêve-t-elle. 

Mais le travail laissé en plan la rattrape. L’été vient tout juste de s’installer et déjà les chapeaux de paille se sont envolés. La production ne peut s’arrêter. Même si l’arrivée du bébé a chamboulé un peu le rythme. «Alex aussi doit s’adapter, note-t-elle. Ça oblige à être plus efficace, mais on est capable de se voir maintenant comme des entrepreneurs commerçants plus que de petits artisans. Si on veut fonder une famille, on n’a pas le choix d’aller là pour avoir un jour une équipe assez solide pour prendre des vacances et avoir plus de temps pour notre famille parce qu’on veut pas juste un enfant.» 

Et leur complémentarité semble être à toute épreuve.


Pour visiter Fumile

32 rue Principale à Frelighsburg
L’atelier boutique est ouvert au public du jeudi au dimanche de 10h à 17h
Pour prendre rendez-vous pour des commandes sur mesure: info@fumile.ca
Téléphone: 579-535-5982

Réunies dans la véranda de la céramiste Émilie Dion, quatre artisanes de la région discutent de création et d’émancipation, deux maîtres-mots indissociables de leur métier.

TEXTE Eugénie Emond 
PHOTOS Alma Kismic 

C’est Marie-Eve Dion, fondatrice de Marie-les-bains, qui met la dernière touche sur la table dressée: des tagètes ocres cueillies à même son jardin à Valcourt qui tranchent avec les teintes brutes de la nappe des Filles du coin. Émilie replace une feuille de roquette qui s’échappe d’un bol de salade qu’elle fixait depuis un moment. «Je n’arrivais pas à me concentrer sur autre chose», lance-t-elle en riant. 

© Alma Kismic
© Alma Kismic | Pauline et Émilie

La céramiste a proposé de nous recevoir chez elle dans sa maison de Lac-Brome pour un lunch champêtre préparé par le traiteur L’Archipel, où se trouve aussi son atelier et sa boutique L’Atelier Em, alors que la saison touristique bat son plein dans les Cantons-de-l’Est. Une période effervescente durant laquelle les vacancier·ères butinent, s’arrêtant dans les boutiques et les marchés de proximité de la région. La présence ou non à ces événements grand public suscite déjà la discussion entre les convives. Le jeu en vaut-il la chandelle? Le kiosque à installer, la marchandise à transporter, les longues heures debout et l’énergie déployée du service à la clientèle… Marie-Eve et Émilie hésitent. C’est que les ventes ne sont pas toujours au rendez-vous. La céramiste Coralie Huckel, elle, adore les contacts qu’elle y fait et les opportunités de réseauter avec d’autres collègues. Mais c’est Pauline Dedieu, employée de l’Atelier Tréma, qui résume sans doute le mieux le bien fondé de l’exercice. «C’est une belle façon d’éduquer les gens». 

Car toutes sont d’accord: si le métier d’artisane en est un qu’il faut encore expliquer, elles ont le bonheur de constater que la clientèle est davantage consciente de la valeur de leur travail, davantage encline à débourser pour un travail fait main. Mais après l’engouement envers l’achat local alimenté par la pandémie, elles constatent toutes un certain recul. Se démarquer est devenu primordial. Et quoi de mieux que de mettre de l’avant la singularité propre à leur métier? «Ce que j’offre, c’est une expérience», résume Coralie. À celles et ceux qui se présentent chez elle, dans sa maison ancestrale de Waterloo, elle sert le thé, leur détaille les différentes cuissons nécessaires à la poterie, leur montre les noix en forme de cœur de son noyer, dont les écureuils ont laissé les coquilles dures sur le sol et qui lui servent maintenant à marquer l’argile.

Émilie et Marie-Eve entretiennent aussi une relation privilégiée avec leur clientèle, celle qui se tisse au fil des rencontres et des cours donnés chez elles. Idem pour Atelier Tréma avec l’expérience café bistro qui a ouvert ses portes à Frelighsburg cet été, alors que l’entreprise fête ses vingt ans cette année. Pauline est d’ailleurs à même de constater le chemin parcouru par ses collègues, elle qui s’est jointe il y a quatre ans au duo de céramistes formé de Marie-Joëlle Turgeon et Jordan Lentink pour s’occuper à temps plein de la gestion de l’entreprise. «On rêverait toutes d’avoir quelqu’un comme toi!» envie Émilie. Coralie et Marie-Eve acquiescent.

© Alma Kismic | Coralie Huckel
© Alma Kismic | Marie-Ève Dion

Coralie, Marie-Eve et Émilie ont toutes les trois laissé tomber un emploi à temps plein, attirées par la liberté, l’autonomie et la flexibilité qui découlent du travail d’artisane. Une façon de s’émanciper et de laisser son empreinte dans le monde par l’entremise d’un savoir-faire. Elles constatent toutefois qu’elles ne sont plus jamais tranquilles, le boulot occupant désormais leur esprit 24 heures sur 24. «L’assiette à tarte, j’y ai pensé longtemps», illustre Émilie en pointant son œuvre striée de bleu sur la table, comme une impression du treillis d’une tarte aux pommes au fond de l’assiette. L’artisane a quitté une carrière d’avocate criminaliste pour être plus présente pour ses quatre enfants et se consacrer à sa passion. «On dirait qu’à un certain moment, on a besoin d’être maître de quelque chose. Pas de se faire imposer les choses», affirme-t-elle. «Ça nous permet d’avoir une meilleure vie et d’être présente pour nos enfants. Alors pourquoi ne pas le faire?» ajoute-t-elle.

© Alma Kismic
© Alma Kismic | Émilie Dion

De la véranda on peut voir sa boutique, nouvellement construite, où Émilie donne des cours.  «Je rêverais d’avoir un atelier en dehors de ma maison», souffle Marie-Eve. Cette dernière est en pleine saison des fleurs, qu’elle cultive à une trentaine de kilomètres de chez elle, et qui lui serviront à teindre le textile. «C’est sûr que je n’aurais pas la même production si j’étais encore à Montréal. Ici, je cultive environ 75% de ce que j’utilise», estime-t-elle. Des fleurs auxquelles elle ajoute le fruit de sa cueillette sauvage — verge d’or, carotte sauvage, tanaisie — une pratique qu’elle a retrouvée avec bonheur en retournant dans la région où elle a grandi. 

© Alma Kismic
© Alma Kismic

– Et les champignons, tu y as pensé? lui demande Pauline
– Oui, mais ce n’est pas la même pigmentation. Et puis ça prend du temps pour explorer.

Du temps de création pure, plus souvent qu’autrement noyé dans le quotidien et les tâches administratives. Créer pour le plaisir de créer est devenu un luxe. Mais malgré toutes les embûches inhérentes à leur métier, elles refont jour après jour le choix de l’exercer, conscientes du privilège de mener cette vie qu’elles se sont forgées.

– Je n’ai aucun regret, affirment-elles tour à tour.


Pour visiter:

L’Atelier Em – Lac-Brome
La céramiste Émilie Dion offre des cours et des ateliers libres.
Sa boutique est ouverte sur rendez-vous.
Pour infos:
courriel: info@latelierem.com
instagram: @latelier_em

Marie les bains – Eastman
Plusieurs ateliers de teinture végétale, impression botanique, indigo, teinture naturelle et technique de pâte de mordant sont offerts à son atelier.
Les ateliers se déroulent de 10h à 16h, selon un calendrier déterminé. 
Pour infos:
courriel: info@marie-les-bains.com
téléphone: 514 564 0984

Coralie Huckel – Waterloo
L’artiste céramiste ouvre son atelier boutique sur rendez-vous situé au 911, rue Western
Waterloo, Québec J0E 2N0
Pour infos:
courriel: chuckel96@gmail.com
site web: www.coraliehuckel.com
téléphone: 450 877 2141

Atelier Tréma – Bedford
La boutique principale d’Atelier Tréma est ouverte du lundi au vendredi de 8h à 17h et les samedi et dimanche de 10h à 17h
En plus d’y retrouver leurs créations, on peut y prendre une bouchée et un café tout en y magasinant des produits locaux.
Adresse: 133, rue de la Rivière Bedford, Québec J0J 1A0

Une boutique éphémère est également ouverte de juillet à décembre à Frelighsburg.
Jeudi au dimanche de 10h à 17h
Adresse: 31 rue principale, Frelighsburg