Pour Marilyn Armand, une courtepointe, ce n’est jamais «qu’une couverture». La courtepointière et fondatrice de Le point visible connaît la valeur profonde de l’art qu’elle affectionne. 

VIDÉO Victor Saliba
TEXTE Rosaly Boutin
PHOTOS Marie-Anne Dubé

Armée de patience et de passion, Marilyn Armand donne une seconde et longue vie à des kilomètres de textiles. «Pour être une courtepointière moderne, il faut vraiment que tu sois passionnée», affirme l’artisane. Marilyn embrasse toute la complexité et la beauté du métier qu’elle a choisi en lançant son entreprise, Le point visible.

Courtepointe moderne Le Point Visible
© Circuit-Court

Avec sa machine à coudre et sa sensibilité, Marilyn joint des tissus surcyclés pour que se matérialisent les croquis de son carnet. Lorsqu’elle déroule ses œuvres surpiquées, ce sont les inspirations de sa région que l’on voit apparaître. Celle qui a récemment quitté Bedford pour établir son atelier-boutique à Stanbridge East aime observer les couleurs, les montagnes et les vieilles granges des Cantons-de-l’Est. Ses assemblages colorés s’ancrent dans les paysages qui l’entourent. Ses designs, eux, insufflent une contemporanéité singulière à cet art patrimonial. Entre ses mains, ce savoir-faire ancestral réactualise le confort et le réconfort.

Marilyne Armand à la machine à coudre
© Circuit-Court

Consciente de l’empreinte environnementale de l’industrie du textile dans laquelle elle s’insère, l’artisane célèbre la lenteur de la courtepointe. À l’inverse de la fast fashion, cet objet se conjugue au passé, au présent et au futur. Il superpose les couches d’histoires. L’ancienne vie des différents tissus rencontre l’inspiration de l’artiste et, enfin, l’histoire de la personne qui acquiert l’œuvre et qui aspirera à la transmettre au suivant. Car la durabilité et l’intemporalité d’une telle pièce assure son legs d’une génération à l’autre. Les récits continuent de s’entremêler, enveloppant les gens, tissant une nouvelle trajectoire. «Le produit va transcender d’autres histoires, d’autres communautés, d’autres gens», résume Marilyn. Elle chérit elle-même la courtepointe familiale qui lui vient de son arrière-arrière-arrière grand-mère!

Tournage de la capsule Le point visible
© Circuit-Court
Fabrication d'une courtepointe Le Point Visible
© Circuit-Court

À travers chaque réalisation, Marilyn donne aussi une voix aux femmes qui l’ont précédée. Elle leur rend hommage, à sa manière. C’est grâce à l’héritage de la sororité qu’elle a appris à coudre puis à devenir la virtuose des étoffes qu’elle est aujourd’hui. Sa grand-mère lui confiait fil et aiguille lorsqu’elle était petite pour occuper la boule d’énergie qu’elle était. Plus tard, c’est auprès de France Verrier du Cercle des fermières de Cowansville qu’elle s’est initiée à la courtepointe. 

Si sa pratique est bien enracinée dans le patrimoine québécois, elle a pourtant trop longtemps été maintenue dans la sphère privée des femmes, raconte l’artiste. Marilyn souhaite aujourd’hui attirer la lumière sur une richesse qui a été maintenue dans l’ombre. «Je veux revendiquer la place de la femme dans la sphère publique.» Pour elle, cette valorisation passe par une reconnaissance à la fois monétaire et symbolique. «C’est de mettre un prix aussi, une valeur juste, à un travail qui n’a jamais été rémunéré. C’est de prendre conscience que ça peut être un art aussi valable qu’une toile.» À regarder de près la maîtrise technique et l’originalité signé Le point visible, le talent artistique de Marilyn est aussi remarquable qu’indéniable.  

carnet de croquis
© Circuit-Court
Gros plan sur une courtepointe Le Point visible
© Circuit-Court | La Compagnie Robinson
Rencontre avec une cliente
© Circuit-Court

Depuis octobre, l’artisane et ses complices — elle est maintenant entourée d’une belle équipe — ont entamé un nouveau chapitre de l’entreprise. Le point visible a migré vers Stanbridge East et y a officiellement ouvert son atelier-boutique. Les lumineuses courtepointes s’y retrouvent, bien accompagnées par une splendide sélection d’objets des métiers d’art. Véritable prolongement de la démarche de Marilyn, le lieu contribue à la valorisation des savoir-faire et aide les consommateur·rices à les (re)découvrir dans toute leur splendeur et leur actualité. L’entrepreneure aime y rencontrer les gens, discuter avec eux. Elle les invite chaleureusement dans son safe space pour que sa passion trouve écho dans le monde.  

Marilyn inspirée par les Canton-de-l'Est
© Circuit-Court

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Alex Surprenant et Mélodie Lavergne de Fumile
Les chapelier·ère·s Mélodie Lavergne et Alex Surprenant sont à la croisée des chemins. Grossir l’entreprise devient impératif pour faire vivre leur famille, mais jusqu’où se rendre pour conserver le contact avec la matière?

TEXTE Eugénie Emond 
PHOTOS Alma Kismic 

De la vapeur s’échappe d’une grosse casserole posée sur un rond, au deuxième étage de la boutique atelier. De la chaleur et de l’humidité dont Mélodie a besoin pour le moulage des chapeaux, destinés à garnir les étalages de la boutique en contrebas. À quelques pas de sa mère, bébé Ezmé, neuf mois, mordille son jouet sur le plancher, avant d’être réquisitionnée par Annie, l’assistante de production. «Ezmé est une grande distraction!», commente-t-elle, ravie.

© Alma Kismic | Mélodie Lavergne
© Alma Kismic | Alex Surprenant

Il y a trois ans, Mélodie et Alex ont mis la main sur cette grande bâtisse qui peinait à trouver preneur, en plein cœur de Frelighsburg. «Fallait être une partie travaillant·e, une partie naïf·ve pour acheter le bâtiment ici», lance Alex. Le couple ne compte plus les heures englouties dans la métamorphose de cet ancien hôtel-taverne où tout était à refaire. Reste que l’endroit est beaucoup plus spacieux que l’atelier boutique sur Atateken, à Montréal, où ils ont débuté en 2018. Et le nouvel espace semble offrir une infinité de possibilités, pouvant se modeler à leurs ambitions. 

© Alma Kismic | Alex Surprenant

Alex me fait visiter les nouveaux espaces en bas, adjacents à la boutique. Derniers ajouts: un endroit entièrement dédié à leurs créations en tissu et le café de l’Atelier Tréma qui a ouvert ses portes au début du mois de juillet. Un bon voisinage que les entrepreneur·es abordent avec plaisir.

Arrivé·es dans la boutique de Fumile, j’en profite pour revenir sur la genèse de l’entreprise: 

– Tu faisais quoi, Alex, avant de faire des chapeaux? 
– «Boaf…», répond-il évasif. 

Il revient brièvement sur son passé de fêtard, son déclic après avoir vu une vidéo montrant «un gars aux États-Unis qui faisait des chapeaux», le cours de chapellerie, sa rencontre avec Mélodie. Derrière lui, les chapeaux colorés s’alignent sur le mur de la boutique, tous traversés d’une cicatrice, la marque de commerce de Fumile qui a perduré dans le temps. «C’est parti d’une erreur sur un chapeau et ça a maintenant sa life of it’s own», résume Mélodie, que nous rejoignons à l’atelier.

© Alma Kismic | Boutique Fumile
© Alma Kismic

Suivre le flot, s’adapter, reconnaître les bonnes idées et les mener à terme tout en accueillant les opportunités qui se présentent, c’est un peu ça Fumile. Et l’entreprise ne se bâdre pas de proposer de nouvelles collections chaque saison, forgeant chaque chapeau selon le matériau à leur disposition. «C’est surprenant comment quelqu’un peut entrer ici et que le chapeau sur lequel il trippe, ça adonne que c’est sa grandeur!», illustre Mélodie. Cet aspect organique, le couple espère le conserver, mais doit penser à la suite. Le sur-mesure est difficile à rentabiliser et il faut sans cesse justifier les coûts à la clientèle, réticente à débourser autant pour un couvre-chef. «Mais la chapellerie, c’est compliqué, c’est long à faire», explique Mélodie.

© Alma Kismic | Atelier Fumile
© Alma Kismic

Pour rentabiliser le tout, le duo souhaite peu à peu se munir d’outils pour faciliter certaines étapes de la production, tout en conservant une ligne sur mesure. «Il y a beaucoup d’étapes que tu peux faire à la main, mais il y a des machines et des outils qui existent depuis 100 ans qui perfectionnent certaines étapes et les rendent plus rapides», avance Mélodie. Le duo convoite maintenant une presse hydraulique, mais les machines, même usagées, coûtent cher et sont difficiles à trouver.

© Alma Kismic

Même si le duo en vient à proposer une ligne plus accessible, il ne souhaite pas pour autant perdre le contact avec la matière. Et la recherche de matériaux éthiques demeure leur priorité. La plupart de leurs feutres proviennent d’Europe de l’Est, de lapins élevés en pâturage. «Mais le plus hot c’est le castor: c’est un animal semi aquatique, alors la fourrure est parfaite pour les chapeaux», explique Mélodie. Même si l’âge d’or des hauts-de-forme est révolue, une industrie qui a épuisé la ressource de castors au pays jusqu’au 19e siècle, Mélodie se permet de rêver à une industrie locale, éthique. «Imagine si on pouvait avoir des manufactures et s’approvisionner ici!», rêve-t-elle. 

Mais le travail laissé en plan la rattrape. L’été vient tout juste de s’installer et déjà les chapeaux de paille se sont envolés. La production ne peut s’arrêter. Même si l’arrivée du bébé a chamboulé un peu le rythme. «Alex aussi doit s’adapter, note-t-elle. Ça oblige à être plus efficace, mais on est capable de se voir maintenant comme des entrepreneurs commerçants plus que de petits artisans. Si on veut fonder une famille, on n’a pas le choix d’aller là pour avoir un jour une équipe assez solide pour prendre des vacances et avoir plus de temps pour notre famille parce qu’on veut pas juste un enfant.» 

Et leur complémentarité semble être à toute épreuve.


Pour visiter Fumile

32 rue Principale à Frelighsburg
L’atelier boutique est ouvert au public du jeudi au dimanche de 10h à 17h
Pour prendre rendez-vous pour des commandes sur mesure: info@fumile.ca
Téléphone: 579-535-5982

Depuis sa ferme biologique à Frelighsburg, Oneka élabore des produits de soins personnels aux arômes conçus à partir de plantes qui poussent à même sa terre vallonnée. Son équipe s’inspire de la nature en la laissant suivre son petit bonhomme de chemin.

TEXTE Marie Charles Pelletier
PHOTOS Gabriel DeRossi

Pour le couple fondateur d’Oneka, l’arôme incarne la fondation même de leurs produits. « Travailler avec des huiles essentielles, c’est travailler avec le vivant et donc d’accepter que rien n’est statique », explique Philippe Choinière qui, avec sa conjointe Stacey Lecuyer, s’impose le devoir rigoureux de s’assurer de la justesse des arômes, semaine après semaine et au gré des saisons. 

Philippe Choinière de Oneka
© Gabriel DeRossi
Petites pousses et main dans la terre
© Gabriel DeRossi

C’est justement la qualité des arômes qui distingue Oneka. Extraits du cèdre, de l’épinette blanche, de la sauge, de l’hydraste et de la menthe poivrée, ils sont encapsulés dans leurs shampoings, gels douche,  sels de bain et savons. Depuis l’année passée, la ferme est équipée d’un alambic, lequel distille chaque jour des plantes récoltées sur la ferme. Leur cueillette sauvage comprend l’ortie, la prêle des champs, la verge d’or et les branches de conifères qui occupent plus de la moitié du terrain. Sur la colline qui domine les champs et la forêt en contrebas, un jardin d’un acre est entièrement dédié à la culture de plantes aromatiques et médicinales. 

La génèse

Philippe et Stacey Lecuyer fondent Oneka en 2007 avec la volonté sincère de créer des produits qui auraient un impact positif sur le bien-être des gens, avec une approche écologique et durable. 

© Gabriel DeRossi

En 2013, ils achètent ce qui deviendra la ferme Oneka — et deviennent accessoirement les voisins du verger familial des Choinière. La parcelle de terre ne servait plus depuis des années et incarnait le lieu tout indiqué pour faire de l’agriculture régénérative. « Pour nous, le lieu  représente le berceau de notre  vision, mais aussi notre point d’ancrage. Celui qui nous ramène à notre propre essence », raconte Philippe. 

Témoin chaque jour de la générosité de la nature, il va de soi pour l’équipe de redonner à la terre ce qu’elle nous offre. La ferme s’appuie sur les fondements de la permaculture en préservant la diversité végétale, mais aussi en portant une attention toute particulière aux besoins des sols et des écosystèmes. À travers différentes méthodes qui bénéficieront à l’environnement sur le long terme, cette façon consciencieuse de cultiver la terre et de préserver la diversité végétale permet d’obtenir des récoltes plus saines et de valoriser les écosystèmes. 

En 2019, Oneka reçoit sa certification B Corp, un papier important que n’acquiert pas qui veut et qui atteste de la cohérence qui règne au sein de l’entreprise tant sur le plan humain qu’environnemental. 

Se shampouiner consciencieusement

L’équipe d’Oneka élabore des soins personnels en ayant à cœur le monde vivant. Leurs produits sans sulfates, sans parabènes et sans parfums synthétiques sont conçus à base d’ingrédients locaux, biologiques et biodégradables. 

Bouteilles de romarin Oneka
© Gabriel DeRossi

Chaque produit Oneka est fait à base d’huiles essentielles. Ces puissants extraits botaniques sont obtenus en prélevant l’huile naturellement présente dans certaines plantes, que ce soit dans les racines, les fleurs ou les feuillages. Les arômes et les propriétés bénéfiques sont extraites grâce à la distillation et le pressage à froid.

Pour les huiles qu’ils ne peuvent produire sur la ferme — comme les agrumes —, Philippe et Stacey font affaire avec des fournisseurs d’huiles essentielles qui ont une vision similaire à la leur et qui partagent les mêmes standards environnementaux, notamment en créant des produits qui ne nuisent ni aux écosystèmes aquatiques ni à la vie marine.

L’entreprise qui prône le vrac a aussi développé une gamme de produits solides sans emballage, et compense leur utilisation de plastique en s’associant avec Plastik Bank.

Retrouver son essence

Le choix conscient qu’a fait Oneka en créant des soins personnels à partir de plantes et en misant sur les arômes dissimule une intention thérapeutique: celle de reconnecter les gens à eux-même et à la nature. 

Stacey Lecuyer de Oneka
© Gabriel DeRossi
© Gabriel DeRossi

« C’est très intentionnel d’utiliser les arômes pour éveiller la mémoire olfactive, les souvenirs et les émotions », explique Philippe comme pour nous rappeler qu’on est aussi vivant que la nature, qu’on fait partie du même tout et qu’on peut se nourrir l’un l’autre. 

Comme quoi les effluves de cèdre peuvent, le temps d’un bain, nous ramener à notre essence profonde ou à nos étés passés à jouer dans la forêt.

Le carnet d’adresses de Philippe et Stacey

Originaire des Cantons-de-l’Est et enraciné à Frelighsburg depuis plus de 10 ans, le couple d’artisan·es des plantes connaît la région comme le fond de sa poche. Voici leurs must :

  • Fumile — Parce que Philippe arbore toujours un chapeau
  • Beat & Betterave — Pour la limonade rhubarbe et framboise qui poussent dans leur jardin
  • Aux 2 clochers — Parce que leur menu est sans prétention et que l’établissement est un fleuron du village 
  • Lyvano — Pour manger en étant bercé par le son de la rivière
  • Espace Old Mill — Parce que ce qu’on y consomme est un hommage aux producteurs locaux et à ce que la nature nous offre
  • Cidrerie Choinière — Parce que c’est le frère de Philippe et qu’il maîtrise son savoir-faire
© Gabriel DeRossi