Une ancienne forge ravivée grâce à Étienne Verreault, coutelier
À Piopolis, Étienne Verreault rallume le feu d’une forge ancestrale pour y créer des couteaux uniques, à la croisée du geste ancien et de la quête intérieure.
VIDÉO Victor Saliba
TEXTE Anne Genest
PHOTOS Rachel Fortin
Dans le petit village de Piopolis, une vieille forge de 1880 retrouve souffle et chaleur sous les mains d’Étienne Verreault. Anciennement tenue par M. Grenier, premier forgeron du village, elle est aujourd’hui l’atelier d’un coutelier passionné, qui y perpétue un art millénaire avec une sensibilité bien ancrée dans le présent. Étienne Verreault pénètre dans sa forge comme s’il entrait à l’intérieur de lui-même. Là, entre murs chargés de suie et enclumes anciennes, chaque couteau qu’il façonne raconte une histoire.


Cette histoire, elle commence bien avant la forge. Elle prend racine dans une fascination pour les objets anciens, ceux qui ont traversé le temps, porteurs d’une aura, d’un usage, d’une trace humaine. Collectionneur en herbe, Étienne Verreault est depuis toujours attiré par la matière, le geste, les signes du passé. Le déclic vient avec une rencontre : sa conjointe, originaire de France, pays aux traditions coutelières riches. En explorant cet univers, il fabrique un premier couteau par enlèvement de matière — une technique de coupe directe dans l’acier. Il partage le résultat sur les réseaux sociaux, et très vite, les commandes affluent.
Mais Étienne ne s’arrête pas là. Il part deux fois en France, dont un séjour de deux mois en immersion complète auprès d’un coutelier renommé, afin d’approfondir ses techniques et d’élargir son savoir-faire. Avec plus de huit ans d’expérience, il fabrique aujourd’hui tout type de couteaux : pliants, de cuisine, de chasse ou de survie. L’acier utilisé est de haute qualité, de la pointe de la lame au manche. Il fait tout de A à Z. Après avoir façonné la lame — ce qui requiert cinq à six heures de travail, il s’attaque à la finition : il conçoit toujours des croquis avant de fabriquer le manche, généralement en bois local (bois franc, pommier, noyer) ou, sur demande, en bois exotique. Il coud et teint lui-même le cuir de l’étui qui accompagnera chaque pièce. Au total, la fabrication de l’ensemble du couteau nécessite près de trois jours de travail.


Son approche est personnalisée : il échange avec les clients, discute de leurs besoins, conçoit des objets qui durent. Il utilise une forge au propane, plus compacte, plus rapide à chauffer, mais garde un attachement profond pour les gestes traditionnels.
Car au-delà de la technique, il y a un rapport intime au travail manuel. «Je suis centré sur ce que je fais, dans un état méditatif. Je travaille beaucoup avec les éléments : cuir, acier, bois, feu. Dans l’acier, tu peux y mettre ton âme», dit-il. Ce lien profond, il le partage aussi.
Étienne Verreault donne régulièrement des formations dans sa forge, ouvertes tant aux curieux qu’aux passionnés. Les ateliers couvrent les bases de la forge traditionnelle, la fabrication complète d’un couteau, de la lame au manche jusqu’à l’étui. Il accompagne chaque participant dans toutes les étapes du processus, dans un esprit d’écoute et de rigueur. Pour plusieurs, c’est une expérience marquante. «Quand j’offre le couteau à la fin de la formation, je vois la magie dans leurs yeux. C’est ça ma paie.»


Dans le bruit cadencé du marteau, dans la chaleur de la forge, Étienne Verreault vit un artisanat du quotidien, où la beauté naît du geste. «Tu prends un morceau d’acier brut et tu finis avec un objet magnifique.» Mais rien n’est figé. «Tu ne peux pas dire que tu sais tout en coutellerie», ajoute-t-il. C’est peut-être cela, sa définition de l’artisan : un être en apprentissage perpétuel.
Dans cette forge ressuscitée, les objets naissent et les histoires s’ancrent. Chaque couteau est un fragment de vie. Chaque étincelle prolonge une mémoire. Étienne Verreault y tient son feu allumé, métaphore d’une transmission patiente, modeste et vibrante.
