Élève et professeur, cours de création d'un bijou

Situé à Lac-Mégantic, l’Atelier du Bijou participe à la transmission et la valorisation d’une expertise unique: la joaillerie.

VIDÉO Victor Saliba
TEXTE Rosaly Boutin
PHOTOS Rachel Fortin

Artisan avec torche allumée
© Circuit-Court | Benoit Houle

La beauté des savoir-faire artisanaux réside dans leur caractère vivant. Ils s’apprennent au contact de la matière, auprès de gens qui maîtrisent et affectionnent les aléas du travail manuel. Benoit Houle est l’une de ces personnes qui carburent à l’idée de contribuer à la transmission de ses connaissances précieuses. C’est animé par ce désir que le joaillier de formation fonde l’Atelier du Bijou en 2021 à Lac-Mégantic. «La raison d’être d’Atelier du Bijou c’est de partager ma passion, enseigner, donner des ailes à mes étudiants.»

Quelques années plus tôt, en 2018, Benoit obtient son diplôme à l’École de joaillerie de Montréal. Son entreprise naît à la suite d’un déménagement pour que l’artisan puisse suivre sa conjointe. Pour celui qui a butiné des domaines aussi variés que la comptabilité et le théâtre, la région a sur lui un effet marquant. «Je suis naturellement une personne qui s’éparpille. C’est en Estrie que j’ai trouvé la place où je peux m’asseoir, penser à mes affaires et juste me concentrer sur une chose à la fois.»

Caméraman et Benoit Houle
© Circuit-Court

C’est sa flamme pour le bijou qui l’a emporté sur ses autres intérêts. Celle-ci apparaît lorsqu’il se fabrique une fonderie pour explorer cet univers de manière autodidacte. Face à la magie de la matière qui se transforme, sa fascination n’a cessé de croître. «Ce qui m’a poussé à devenir joaillier, c’est le métal en fusion. C’est la petite boule de liquide à 800°C qui ressemble à un miroir.» Il n’en fallait pas plus pour que sa curiosité se meuve en azimut pour ses études, puis sa carrière entrepreneuriale.

Atelier du bijou
© Circuit-Court

Benoit concentre désormais son attention sur la bijouterie, sous toutes ses formes. Colliers, bracelets, bagues, boucles d’oreilles et tant d’autres bijoux passent entre ses mains. Il les répare pour leur offrir une deuxième vie ou les crée de toutes pièces — l’atelier dispose d’une boutique en ligne et d’un service de produits sur mesure. Il tire de ce processus artisanal une grande satisfaction. Quand ses pièces sont fièrement arborées par autrui, la joie est à son comble. «C’est indescriptible comme sentiment de voir quelqu’un porter tes œuvres.» Son univers rencontre celui de sa clientèle, qui se l’approprie à son image.

Élève et professeur, cours de création d'un bijou
© Circuit-Court | Cours de fabrication d’un jonc

Grâce aux cours personnalisés de l’Atelier du Bijou, de nombreux individus peuvent à leur tour découvrir le plaisir de concevoir leurs propres objets ou encore perfectionner certaines techniques. Les enseignements de Benoit s’adressent tant aux personnes débutantes qu’à celles qui, comme lui, ont fait de la joaillerie leur profession. L’Atelier du Bijou se donne pour mission de former les artisan·es de demain. Son approche mise sur l’intersection entre la tradition et l’innovation afin de repousser les limites d’une pratique millénaire. Plus largement, cette transmission s’insère dans une conviction profonde. «Je pense que les métiers d’art, c’est fait pour ça à la base, rassembler.» 

Fabrication de bijou à Lac-Mégantic
© Circuit-Court

L’acquisition d’une maison en 2023 ouvre un nouveau monde de possibilités pour optimiser l’environnement pédagogique. Benoit est immédiatement charmé par le potentiel du garage pour concrétiser la vision qu’il a toujours eue pour l’Atelier du Bijou. Il s’empresse de transformer l’espace en salle de classe complète, dont l’outillage de pointe en ferait rêver plus d’un·e. La jeune entreprise se donne les moyens de ses ambitions. 

Au fil de ce parcours, l’Atelier du Bijou est parvenu à tailler sa place dans le domaine, enrichissant la région estrienne d’une remarquable source d’apprentissages locale. Il s’agit aujourd’hui d’une véritable ressource pour quiconque aspire à s’améliorer ou à se familiariser avec ce maniement raffiné du métal. Le plus grand risque demeure d’y découvrir une passion à en oublier le théâtre ou la comptabilité!

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Pour Marilyn Armand, une courtepointe, ce n’est jamais «qu’une couverture». La courtepointière et fondatrice de Le point visible connaît la valeur profonde de l’art qu’elle affectionne. 

VIDÉO Victor Saliba
TEXTE Rosaly Boutin
PHOTOS Marie-Anne Dubé

Armée de patience et de passion, Marilyn Armand donne une seconde et longue vie à des kilomètres de textiles. «Pour être une courtepointière moderne, il faut vraiment que tu sois passionnée», affirme l’artisane. Marilyn embrasse toute la complexité et la beauté du métier qu’elle a choisi en lançant son entreprise, Le point visible.

Courtepointe moderne Le Point Visible
© Circuit-Court

Avec sa machine à coudre et sa sensibilité, Marilyn joint des tissus surcyclés pour que se matérialisent les croquis de son carnet. Lorsqu’elle déroule ses œuvres surpiquées, ce sont les inspirations de sa région que l’on voit apparaître. Celle qui a récemment quitté Bedford pour établir son atelier-boutique à Stanbridge East aime observer les couleurs, les montagnes et les vieilles granges des Cantons-de-l’Est. Ses assemblages colorés s’ancrent dans les paysages qui l’entourent. Ses designs, eux, insufflent une contemporanéité singulière à cet art patrimonial. Entre ses mains, ce savoir-faire ancestral réactualise le confort et le réconfort.

Marilyne Armand à la machine à coudre
© Circuit-Court

Consciente de l’empreinte environnementale de l’industrie du textile dans laquelle elle s’insère, l’artisane célèbre la lenteur de la courtepointe. À l’inverse de la fast fashion, cet objet se conjugue au passé, au présent et au futur. Il superpose les couches d’histoires. L’ancienne vie des différents tissus rencontre l’inspiration de l’artiste et, enfin, l’histoire de la personne qui acquiert l’œuvre et qui aspirera à la transmettre au suivant. Car la durabilité et l’intemporalité d’une telle pièce assure son legs d’une génération à l’autre. Les récits continuent de s’entremêler, enveloppant les gens, tissant une nouvelle trajectoire. «Le produit va transcender d’autres histoires, d’autres communautés, d’autres gens», résume Marilyn. Elle chérit elle-même la courtepointe familiale qui lui vient de son arrière-arrière-arrière grand-mère!

Tournage de la capsule Le point visible
© Circuit-Court
Fabrication d'une courtepointe Le Point Visible
© Circuit-Court

À travers chaque réalisation, Marilyn donne aussi une voix aux femmes qui l’ont précédée. Elle leur rend hommage, à sa manière. C’est grâce à l’héritage de la sororité qu’elle a appris à coudre puis à devenir la virtuose des étoffes qu’elle est aujourd’hui. Sa grand-mère lui confiait fil et aiguille lorsqu’elle était petite pour occuper la boule d’énergie qu’elle était. Plus tard, c’est auprès de France Verrier du Cercle des fermières de Cowansville qu’elle s’est initiée à la courtepointe. 

Si sa pratique est bien enracinée dans le patrimoine québécois, elle a pourtant trop longtemps été maintenue dans la sphère privée des femmes, raconte l’artiste. Marilyn souhaite aujourd’hui attirer la lumière sur une richesse qui a été maintenue dans l’ombre. «Je veux revendiquer la place de la femme dans la sphère publique.» Pour elle, cette valorisation passe par une reconnaissance à la fois monétaire et symbolique. «C’est de mettre un prix aussi, une valeur juste, à un travail qui n’a jamais été rémunéré. C’est de prendre conscience que ça peut être un art aussi valable qu’une toile.» À regarder de près la maîtrise technique et l’originalité signé Le point visible, le talent artistique de Marilyn est aussi remarquable qu’indéniable.  

carnet de croquis
© Circuit-Court
Gros plan sur une courtepointe Le Point visible
© Circuit-Court | La Compagnie Robinson
Rencontre avec une cliente
© Circuit-Court

Depuis octobre, l’artisane et ses complices — elle est maintenant entourée d’une belle équipe — ont entamé un nouveau chapitre de l’entreprise. Le point visible a migré vers Stanbridge East et y a officiellement ouvert son atelier-boutique. Les lumineuses courtepointes s’y retrouvent, bien accompagnées par une splendide sélection d’objets des métiers d’art. Véritable prolongement de la démarche de Marilyn, le lieu contribue à la valorisation des savoir-faire et aide les consommateur·rices à les (re)découvrir dans toute leur splendeur et leur actualité. L’entrepreneure aime y rencontrer les gens, discuter avec eux. Elle les invite chaleureusement dans son safe space pour que sa passion trouve écho dans le monde.  

Marilyn inspirée par les Canton-de-l'Est
© Circuit-Court

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Deux artisanes du textile nous laissent entrer dans leur monde coloré.

TEXTE Gabrielle Anctil
PHOTOS Kam Vachon

«Veux-tu un nouveau métier à tisser? Il faut que je me débarrasse du mien!» La complicité entre Marilyn Armand, courtepointière et fondatrice de Le point visible et Marie-Andrée Maltais, tisseuse, est palpable. Même si les deux artistes du textile viennent tout juste de se rencontrer, il est évident que j’assiste au début d’une joyeuse amitié. C’est que les deux artisanes ont bien des choses en commun: elles pratiquent toutes les deux un art historiquement féminin, auquel elles insufflent leur propre créativité. Une approche moderne qui ne va pas sans bousculer les normes du milieu. 

Marilyn Armand en discussion pour Circuit-Court
© Kam Vachon | Marilyn Armand
Marie-Andrée Maltais en discussion pour Circuit-Court
© Kam Vachon | Marie-Andrée Maltais

Passionnées. C’est ce qui se dégage des deux femmes, assises sur un divan dans l’atelier-boutique de Marilyn Armand, nouvellement installé à Stanbridge East. Dès la première question que je leur pose, les voilà lancées dans une discussion enflammée — sur les difficultés de leur métier, sur les préjugés sexistes qui freinent la reconnaissance de leur art, sur l’amour qu’elles ont pour la matière première qu’elles transforment. 

Redonner ses lettres de noblesse au textile

«Le travail des mères n’est pas rémunéré», rappelle la courtepointière, lorsque je lui parle de transmission, elle qui a appris son art au contact d’une membre du Cercle des fermières local. Car il me semble que les métiers du textile ont ceci de particulier qu’ils renferment un aspect social et culturel, central à leur transmission d’une génération à une autre. Justement, cet aspect relève de ce «don de soi» qui est attendu des femmes, relève-t-elle. «Si on veut devenir ébéniste, on va à l’école. Mais pour apprendre un métier du textile, il faut trouver quelqu’un qui nous l’enseignera par générosité.» Sa collègue opine dans le même sens: «et ça fait que notre travail est moins valorisé». 

fabrication de courtepointe
© Kam Vachon

Les choses semblent tout de même bouger — heureusement! Quelques écoles en textile existent dorénavant à Montréal et à Québec. «On commence aussi à voir un peu de textile dans les show d’art» note la courtepointière, qui estime qu’il reste beaucoup de vulgarisation à faire pour que son métier soit mieux connu, et compris. Elle se réjouit de voir ses œuvres trouver un nid «à mi-chemin entre le métier d’art et la pièce d’art» — cette seconde sphère accueillant moins souvent les artistes travaillant le textile. 

Explosion de couleurs

Assise sur une petite chaise face aux deux femmes, je tente d’écrire assez rapidement pour noter toutes les perles qu’elles m’offrent. J’aurais envie de passer des journées entières à les regarder travailler et parler de féminisme. Devant moi, éclairées par la lumière du ciel gris qui passe à travers la grande fenêtre découpée dans le mur de l’atelier, elles discutent avec animation. «Dans l’histoire de la courtepointe, l’utilisation de tissu recyclé date des années 1920 avec le crash économique», raconte Marilyn Armand. «Ça a dévalué les pièces, les gens associaient ça aux pauvres.» Il faudra attendre les années 1970 pour qu’elles connaissent un regain de popularité. À l’époque sont établies des normes définissant la qualité du produit. «Mais les règles n’avaient pas de lien avec la technique», souligne-t-elle cependant. 

À la mention de normes exagérées, Marie-Andrée Maltais soupire. Elle aussi a eu droit à des regards de côté à ses débuts — ses linges à vaisselle aux couleurs vives détonnaient dans les clubs qu’elle fréquentait, où la tendance est plutôt aux tons neutres. «Mais moi j’aime ça de même», s’exclame-t-elle. «C’est ma marque de commerce!» La courtepointière lui lance un sourire entendu: «On se ressemble là-dessus. Je veux reprendre un art ancestral et l’amener ailleurs.» Qui eut cru que j’avais devant moi deux rebelles du textile! 

Les goûts sont subjectifs, bien sûr, mais pour ma part, le linge coloré que j’ai acheté à Marie-Andrée vient ajouter un peu de vibrant à ma cuisinière blanchâtre. J’aurais dû en prendre un deuxième… 

Atelier de courtepointe
© Kam Vachon

Tisser local

«Est-ce que l’Estrie contribue à votre art?» Je termine à peine de formuler ma question que les deux femmes s’animent devant moi. «La région est l’une de mes principales sources d’inspiration», tranche Marilyn — à ces mots, sa consœur hoche la tête avec conviction. «La nature me rend plus réceptive, ajoute Marie-Andrée. Je suis tout le temps en extase!» 

Petites courtepointes colorées
© Kam Vachon
Fil à tisser
© Kam Vachon

Les deux femmes ont d’ailleurs fait le choix de venir s’installer dans les Cantons-de-l’Est, après avoir grandi l’une sur le Plateau-Mont-Royal, l’autre au Saguenay. «On est deux expatriées!» lance la courtepointière, qui a quitté son Montréal natal il y a huit ans. 

Cet amour de la nature s’exprime concrètement dans leur art. Marilyn Armand souligne avec fierté que ses produits sont composés de tissus neufs surcyclés, comme des fins de rouleaux, obtenus chez des designers de mode haut de gamme. «Je préfère le mot « surcyclé » à « recyclé » car il implique que la qualité de la matière a été augmentée», explique-t-elle. Son aînée confie que ses observations de la nature qui l’entoure l’inspirent à créer de nouvelles pièces. «Je regardais un geai bleu récemment et me suis dit que je devrais faire une collection aux couleurs d’oiseaux», raconte-t-elle. 

Marie-Andrée Maltais au travail
© Kam Vachon | Marie-Andrée Maltais
Marilyn Armand à la machine à coudre
© Kam Vachon | Marilyn Armand

La journée avance et Marilyn a bien des choses à faire — à son atelier est désormais annexée une boutique où elle vend les produits d’autres artisan·es de la région. Marie-Andrée, à la retraite, m’invite gentiment à visiter le sien lors de mon prochain passage dans la région. Une proposition que je me promets d’honorer avant que toutes les feuilles ne soient tombées. 

Il est temps pour moi de me glisser hors de ce monde confortable. Je quitte Stanbridge East avec une certitude: grâce à cet art ancestral, les deux femmes expriment leur personnalité — haut et fort. 

outils de tissage
© Kam Vachon
Marilyn Armand dans son atelier Le Point Visible
© Kam Vachon | Marilyn Armand

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