
Un petit outil qui change tout
Petit objet de bois d’à peine 75 grammes, le coupe-légumes et fruits pour jeunes cuistots a fait la renommée d’Atelier Saint-Cerf. D’abord projet familial, il est aujourd’hui porté par l’ébéniste autodidacte Alain Laferrière qui s’apprête à ouvrir un nouveau chapitre à Lac-Mégantic.
TEXTE Eugénie Edmond
PHOTOS Alma Kismic
Le soleil brille sur la rue Wellington Nord, en plein centre-ville de Sherbrooke, mais la lumière pénètre à peine dans l’atelier d’Alain Laferrière. Depuis trois ans, l’ébéniste occupe un petit espace au fond d’un local qu’il partage avec d’autres artistes, entre outils, matériaux et retailles empoussiérées.
Dans quelques jours, il pliera bagage.


Bientôt, il s’installera à Lac-Mégantic, au cœur du quartier Fatima, après avoir décroché l’appui de Quartier Artisan, qui a financé la mise de fonds de sa nouvelle maison. «L’an prochain, il y aura là-bas une usine en coworking pour les artisans, avec des machines comme une découpeuse laser, une galetteuse», raconte-t-il avec enthousiasme.
Il y a trois mois à peine, Alain n’aurait pas imaginé ce tournant. «Depuis ma séparation, j’ai arrêté de faire des plans de match. Je laisse aller la vie. Je surfe sur la vague», confie-t-il.
Quand l’occasion s’est présentée, il a tenté sa chance pour intégrer la cohorte 2025 de Quartier Artisan, et a été choisi. Résultat : un accompagnement pour développer son entreprise et un coup de pouce pour acheter sa maison.
«C’est quasiment une mini-maison. L’avantage, c’est qu’il y a un pas pire terrain où je vais pouvoir me construire un atelier plus adéquat», avance-t-il, heureux.
Alain n’en n’est pas à son premier déménagement. Au cours des trente dernières années, il s’est promené pas mal, travaillant d’abord comme architecte designer, de Saint-Jean-sur-Richelieu à Gaspé, puis à Rimouski. C’est d’ailleurs dans le Bas-Saint-Laurent qu’il a démarré son atelier d’ébénisterie, afin de subvenir aux besoins de sa famille sans trop s’éloigner. Mais c’est à Honfleur, dans Bellechasse, qu’Atelier Saint-Cerf a réellement pris son envol en 2012.
Un produit signature
Sur une étagère, Alain prend une boîte remplie de couteaux de bois. De petites spatules arrondies, simples en apparence, mais au design étudié. «Mon ex-conjointe était pâtissière. Les enfants jouaient à couper des légumes en pâte à modeler avec ses coupe-pâte en métal. On s’est dit : pourquoi ne pas en faire en bois?».
Ce fut un succès instantané : 3000 exemplaires vendus la première année, 6000 la suivante, plus de 10 000 la troisième. Destinés aux enfants de 9 mois et plus, ces couteaux d’érable argenté sont solides, durables et sécuritaires. L’objet semble si simple qu’on ne peut s’empêcher de demander : et personne ne l’a copié? Alain acquiesce. «Plusieurs ont essayé de les copier, mais tout le monde a lâché… J’ai mes techniques pour que ce soit rapide à produire et que le couteau reste efficace longtemps», dit-il fièrement.

«C’est ce que je voulais, créer un produit qui va durer à travers le temps. Un produit pour les enfants et qui permet d’être en famille», ajoute-t-il.
À l’époque, toute la famille mettait la main à la pâte. Après la séparation, il a poursuivi seul, sans chercher à forcer la promotion. Il en vend encore un millier par an.
D’autres créations et un nouvel élan
En parallèle, Alain fabrique des figurines en bois représentant la faune locale. Une quarantaine d’écureuils attendent d’ailleurs leur tour de passer au polissage. Ensuite ce seront peut-être les marmottes, ou les loutres. Alain crée chaque année de nouveaux animaux, au gré de son inspiration ou de ses gaffes. À preuve, ce raton-laveur, qui a fini par se transformer… en opossum. «Il commence à y en avoir au Québec. Les opossums arrivent de la Virginie et remontent vers le nord parce que c’est plus frais. J’en ai vu un à Richelieu, j’ai été vraiment surpris».


Il rêve aussi de consacrer plus de temps à la sculpture, comme en témoigne ce jackalope — un lièvre avec des bois de cerf, figure mythique du folklore américain — au milieu de l’atelier. Il y a aussi cette étrange œuvre d’art gossée à même une branche, en clin d’œil aux bruyants corbeaux de la Gaspésie qu’il a jadis côtoyés, ou ces trois chaises aux dossiers savamment sculptés qui attendent, suspendues au fond de la pièce depuis des mois, que l’ébéniste s’y attarde.
Mais il faut d’abord déménager. Encore une fois et pour le mieux.
«Je suis fatigué, mais j’ai hâte. C’est juste du positif», résume-t-il.
Et déjà, il se projette au beau milieu du lac Mégantic : «J’ai même acheté deux kayaks».
